ANNO DOMINI
MCXXVIII
JOANNES
MICHAELENSIS
NOTITIA
(Hist. litt. de la France, XI, 67)
Tout ce que l'on sait de Jean Michaelensis, c'est qu'il assista, au mois de
janvier 1128, à un concile tenu à Troyes, dans lequel il remplit les fonctions
de secrétaire. Effectivement lui-même semble l'insinuer dans le prologue sur la
Règle des Templiers qu'on lui attribue. Aubert Le Mire, qui a donné au public
cette Règle pour la première fois dans sa Chronique de l'ordre de Cîteaux, sur
un manuscrit de l'abbaye de Saint-Victor de Paris, prétend que saint Bernard en
est l'auteur. En quoi il a été suivi de tous ceux qui ont eu depuis occasion de
parler des chevaliers du Temple et de leur règle. Haeften (Disq. Mon. tr. IX,
disq. IX, p. 86), après Stellartius, remarque que cette Règle leur a été donnée
par saint Bernard, mais dans un style très-différent de celui de ce saint
docteur; et qu'on pourrait dire qu'il a voulu se mettre à la portée de ces bons
chevaliers, si son discours adressé aux mêmes chevaliers n'était aussi éloquent
que les autres ouvrages du saint abbé. Manrique, à l'an 1128, cite deux textes
pour prouver que la Règle en question est l'ouvrage de saint Bernard; mais D.
Mabillon fait voir dans l'avertissement qu'il a mis à la tète d'un écrit de ce
saint (Op. S. Bern. t. I, p. 571), De laude novae militiae, ad milites Templi,
que les deux textes n'ont rien de favorable à ce sentiment, qu'au contraire ils
le renversent absolument. Il parait [1] par le premier, que le
concile de Troyes ayant chargé saint Bernard de composer une règle pour les
chevaliers du Temple, le saint s'en déchargea sur Jean Michaelensis. C'est
ainsi que l'explique D. Mabillon; et c'est effectivement son véritable sens. On
disputera, si l'on veut, sur le terme de scriba, on soutiendra que Jean Michaelensis
n'a été que copiste on secrétaire, mais du moins est-il certain, qu'il n'est
point fait mention dans le texte que saint Bernard ait composé aucune règle
pour les Templiers. Quant à ceux qui pourraient prétendre que Jean Michaelensis
ne se donne que la qualité de secrétaire, et non d'auteur, nous les prions de
nous dire si la fonction que le concile de Troyes avait proposée à saint
Bernard n'était que celle de scribe ou de secrétaire: or, Jean Michaelensis
témoigne qu'il a rempli la fonction dont on avait voulu charger ce saint abbé,
et qui lui était due, cui creditum ac debitum hoc erat. Il a donc composé
lui-même la Règle, et n'a pas été un simple copiste. Il faut néanmoins avouer
qu'il y a dans le premier texte une certaine obscurité, qui a pu donner
occasion à Le Mire, Manrique et autres, de se tromper; mais un peu d'attention
leur cût fait éviter cette méprise.
Pour ce qui est du second passage, il porte bien que le concile de Troyes
ordonna qu on dresserait une Règle pour les Templiers, mais l'auteur de la
Règle n'y est désigné ni de loin, ni de près. Monsieur de Villefore, dans la
Vie de saint Bernard (Lib. II, p. 124, 125), dit que ce projet de donner une
règle à ces chevaliers parut vaste et merveilleux à tous les prélats assemblés;
et que, pour faire honneur aux lettres du pape Honorius et du patriarche de
Jérusalem, ils invitèrent Bernard à composer la Règle que ces chevaliers
demandaient; mais il ne jugea pas à propos, ajoute monsieur de Villefore, de se
charger de ce soin, et elle fut faite par un autre. Guillaume de Tyr (l. XII,
c. 7), et Jacques de Vitri (l. I, c. 65) font mention de la Règle donnée aux
chevaliers du Temple dans le concile de Troyes. Si saint Bernard en avait été
l'auteur, ces deux historiens auraient-ils manqué de le dire? Cependant ils
gardent un profond silence sur l'auteur. Un manuscrit de la bibliothèque
Cottonienne porte que cette règle a été dressée et écrite par Jean
Michaelensis, par ordre du concile et de saint Bernard. D'ailleurs Albéric,
moine de Citeaux, dit qu'on donna à ces chevaliers la Règle de saint Augustin;
aussi le Monasticon Anglicanum les place-t-il sous l'ordre de Saint-Augustin.
Il serait assez surprenant qu'un moine de Citeaux, tel qu'Albéric, qui
demeurait dans l'abbaye de Trois-Fontaines, peu éloignée de Clairvaux, eût
ignoré que saint Bernard avait composé cette Règle, s'il en eût réellement été
l'auteur.
Mais ce qui démontre sans réplique
que la règle des Templiers ne peut ètre l'ouvrage de saint Bernard, c'est la
différence qu'il y a entre le style de cette Règle et celui du saint abbé de
Clairvaux. La Règle est remplie de termes barbares, et de la plus basse
latinité; on n'y voit rien de cette élévation d'esprit, de cette noblesse de
style, de ce goût pour la piété, de cette onction, qui règnent dans tous les
écrits de saint Bernard, et caractérisent ses véritables productions. Nous ne
nous arrêterons pas davantage à combattre un sentiment qui se détruit par
lui-même; et il suffit de jeter les yeux sur l'ouvrage en question pour se
convaincre qu'il n'est point de saint Bernard. Il est bien vrai que le concile
de Troyes, pour entrer dans les vues du pape Honorius II et du patriarche de
Jérusalem, voulant dresser une Règle pour les Templiers, jeta les yeux sur
saint Bernard comme étant plus capable que tout autre de le bien faire. Mais le
saint abbé s'en déchargea sur Jean Michaelensis qui la dressa pendant le
concile même, puisqu'elle y fut lue et approuvée, comme l'assure l'auteur. Mais
il y a eu depuis plusieurs additions. Elle consiste en soixante et douze
chapitres, autant qu'il y en a dans la Règle de saint Benoît, dont l'auteur a
emprunté plusieurs choses. Le but de cette Règle est d'allier la vie monastique
avec la profession des armes. Il y est défendu de recevoir des enfants, de
crainte qu'il ne vinssent dans la suite à se repentir de leurs engagements; les
chevaliers du Temple n'étaient encore en l'an 1128 qu'au nombre de neuf, dont
six se présentèrent au concile de Troyes, ayant à leur tête Hugues des Payens
leur premier grand maître: il est à présumer, qu'ils emportèrent avec eux en
Palestine, où ils retournèrent l'année suivante, la Règle qu'on leur avait
dressée. Elle a été publiée dans différents recueils. André Favin l'a donnée
dans son Théâtre d'honneur et de chevalerie (lib. IV, p. 16; 4, 1659), imprimé
à Paris, chez Robert Foüet en 1620, in-4o. L'éditeur l'attribue à saint
Bernard, quoique de son propre aveu, elle ne se trouve point parmi ses oeuvres.
Elle a été imprimée dans le Nécrologe de l'ordre de Cîteaux, avec une lettre de
Baudouin, roi de Jérusalem, par laquelle ce prince prie saint Bernard de donner
une Règle aux chevaliers du Temple: dans le Fasciculus sanctorum ordinis
Cisterciensis de Chrysostome Henriquez, dans le dixième volume des conciles des
Pères Labbe et Cossart, etc.
M. Le Boeuf (Diss. sur l'hist. de Paris, t. II, p. 119) parlant des
compositeurs de chant ecclésiastique dans le XIIe siècle, cite un certain
Michalus fort vanté par le docteur Alain, comme ayant corrigé les erreurs
commises dans cet art:
Musica laetatur Michalo doctore, suosque
Corrigit errores tali dictante magistro.
Y aurait-il de la témérité à conjecturer que ce Michalus pourrait être le
même que notre Jean Michaelensis. Du reste, ce musicien nous est absolument
inconnu.
[1] «Sane autem
prorsus, licet nostri dictaminis auctoritatem permaximus numerus religiosorum
Patrum qui in illo concilio divina admonitione convenerunt, commendat; non
tamen debemus silenter transire, quibus videntibus et veras sententias
proferentibus, ego Joannes Michaelensis praesentis paginae, jussu concilii ac
venerabilis abbatis Claraevallensis, cui creditum ac debitum hoc erat, humilis
scriba esse divina gratia merui».
JOANNIS
MICHAELENSIS
REGULA
TEMPLARIORUM.
(LABBE
Concil. X, 923.)
CONCILIUM TRECENSE. [2]
MONITUM.
(MABILL. Annal. Bened. l. LXXV, n. 28.)
Matthaeus, ex priore S. Martini a Campis creatus ab Honorio cardinalis
et episcopus Albanensis, sub finem anni superioris cum legati potestate in
Galliam missus, ineunte hoc anno Trecis concilium habuit cui Rainaldus Remorum,
et Henricus Senonum cum suis suffraganeis interfuere, multique abbates, in
primis Stephanus Cisterciensis et Bernardus Claraevallensis. Tempus habiti concilii discimus ex prologo Regulae
militum Templi, quae in illo concilio approbata fuit, nimirum in solemnitate S.
Hilarii, anno 1128 ab incarnato Filio Dei, ab inchoatione praedictae militiae
nono, quae a magistro Hugone de Paganis sumpsit exordium. Hunc prologum
scripsit, et Patrum sententias Joannes Michaelensis jussu concilii ac
venerabilis abbatis Claraevallensis, cui creditum ac debitum hoc erat, nempe ut
scriba concilii esset. Idem auctor singulos episcopos et abbates commemorat qui concilio adfuere.
Abbates hi sunt: abbas Vezeliacensis, scilicet Raynaldus, qui non multo post
factus est Lugdunensis archiepiscopus ac sanctae Romanae Ecclesiae legatus;
abbas Cisterciensis, scilicet Stephanus: abbas Pontiniacensis Hugo, abbas
Triumfontium Rogerius, cui Guido anno sequenti successit; abbas S. Dionisii de
Remis, abbas S. Stephani de Divione, abbas Molismensis Guido. Nec defuit supra
nominatus abbas Bernardus Claraevallensis, cujus sententiam praescripti libera
voce collaudabant. Hunc ad concilium repetitis litteris invitaverat Matthaeus,
excusantem quod saevientis acutae febris exusta ardoribus et exhausta sadoribus
non valeret sufficere spiritui prompto caro infirma (BERN. ep. XXI); sed tandem
jubenti legato parendum fuit. Praeter episcopos et abbates eidem etiam concilio
interfuere Albericus Remensis et magister Fulgerius; et ex laicis comes Theobaldus,
comesque Nivernensis, et Andreas de Baudimento; denique Hugo militiae magister
cum aliquot e suis discipulis, qui modum et observantiam instituti sui Patribus
exposuit. Placuit itaque concilio ut eorum Regula a Patribus examinata et
approbata, scripto commendaretur. Quod a Joanne Michaelensi scriba concilii
factum est. Haec Regula fere tota ex verbis Regulae S. Benedicti contexta est,
constatque totidem capitulis, scilicet septuaginta duobus. Ejus auctor a
plerisque creditur S. Bernardus; at sufficit ei tribuere librum De laude novae
militiae, ad milites Templi, qui Hugoni magistro inscriptus est.
[2] Acta concilii, tempus et locum enarrans Tyrius, lib.
XII, cap. 7, ista scribit: «Concilio in Francia apud Trecas habito, cui
interfuerunt dominus Remensis, et dominus Senonensis archiepiscopi, cum
suffraganeis suis, Albanensis quoque episcopus, apostolicae sedis legatus,
abbates quoque Cisterciensis et Clarevallensis, cum aliis pluribus, instituta
est eis regula et habitus assignatus, albus videlicet, de mandato domini
Honorii papae, et domini Stephani Hierosolymitani patriarchae. Cumque jam annis
novem in eo fuissent proposito, non nisi novem erant: ex tunc coepit eorum
numerus augeri, et possessiones multiplicabantur. Postmodum vero tempore domini
Eugenii papae, ut dicitur, cruces de panno rubeo, ut inter caeteros essent
notabiliores, mantellis suis coeperunt assuere, tam equites quam eorum fratres
inferiores, qui dicuntur servientes: quorum res adeo crevit in immensum, ut
hodie trecentos plus minusve in conventu habeant equites, albis chlamydibus
indutos, exceptis aliis fratribus, quorum pene infinitus est numerus.
Possessiones autem tam ultra quam citra mare adeo dicuntur habere, ut jam non
sit in orbe Christiano provincia, quae praedictis fratribus bonorum suorum
portionem non contulerit, et regiis opulentiis pares hodie dicantur habere
copias. Qui, quoniam juxta Templum Domini, ut praediximus, in palatio regio
mansionem habent, fratres militiae Templi dicuntur. Qui cum diu in honesto se
conservassent proposito, professioni suae satis prudenter satisfacientes,
neglecta humilitate, quae omnium virtutum custos esse dignoscitur, et in imo
sponte sedens non habet unde casum patiatur, domino patriarchae
Hierosolymitano, a quo et ordinis institutionem et prima beneficia susceperant,
se subtraxerunt, obedientiam ei, quam eorum praedecessores eidem exhibuerant,
denegantes; sed et ecclesiis Dei, eis decimas et primitias subtrahentes, et
earum indebite turbando possessiones, facti sunt valde molesti.» In quo Templariis
militibus, anno suae institutionis nono, una cum Regula assignatus est habitus
albus, anno Domini 1128, tempore Honorii papae II.